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Six questions à Jean James Junior Jean Rolph, lauréat du Prix Amaranthe de la poésie 2023

Le poète et critique littéraire Jean James Junior Jean Rolph est lauréat du Prix Amaranthe de la poésie 2023 pour son recueil : « Cœur miroir fragile ». Il recevra une prime de 200 000 gourdes ainsi que 500 exemplaires de son livre. C3 Éditions est allée à sa rencontre.  Interview.

1) C3 Éditions : Quelle a été votre première réaction en apprenant que vous étiez le lauréat du prix Amaranthe de la poésie ? 

4J Rolph : J’ai tout de suite envoyé l’affiche sur le groupe WhatsApp de la famille. Car depuis ma nomination, mes parents surveillent le résultat. Les voyous ont brûlé la maison de ma mère à Port-au-Prince. Il ne restait que le prix comme dernier sourire possible. Ils ont même fait une liste pour se partager l’argent du prix que je n’avais même pas encore gagné. Mes sœurs ont monté une brigade de trois jours pour surveiller le résultat du prix. Ma famille, sauf une de mes sœurs, n’est pas du tout du lieu de la poésie. Mais, ils ont réussi à trouver des défauts aux livres des autres concurrents. La benjamine a fait des jeux de mots pour dire que Florestal ce moine va déparler poésie et que Smeev vieillira avant son petit ciel. Tout le monde a ri. J’aime les voir heureux. Ma famille et mes amis ont une confiance en moi qui frise l’arrogance. Cela étant, j’ai appelé mon amie Alexandra Cretté qui a découvert alors que nous avions eu un prix le même jour, mais à un an d’écart. Elle Balisaille, moi Amaranthe. Conjonction des poètes. J’ai voulu aussi appeler la personne pour qui j’ai écrit Cœur, mais je me suis souvenu que je n’ai plus son amitié. Tout finit par une quelconque tristesse !


2) C3 Éditions : Pourriez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a inspiré à devenir poète ? 

4J Rolph : Je suis né dans une ville poète, Jérémie. Dans un pays poète, Haïti. Il y a tout à côté pour faire poésie. Il y a surtout eu les grands rires de l’enfance : Saint Hélène, Parc Saint-Louis, la mer, ce prolongement de moi-même. Et avant tout, les fillettes de mon temps qui mangeaient des gâteaux chez Ti Papa, le dimanche après-midi sur la place Alexandre Dumas. Il me fallait devenir poète, si seulement on le devient, pour dire l’ingéniosité de Kekette, l’aveugle qui m’a appris à lire. Dans mon enfance, il y a eu mon frère Edwin et mon cousin Nathan qui faisaient des rimes, je les ai volées pour les dire dans les journées récréatives et sur la cour de l’école. Tous les anciens élèves du collège Sacré-Cœur ou du collège Saint-Louis de Jérémie se souviennent de mon fameux poème « Sida nan Dada » écrit par mon cousin… mais non par mon frère. Enfin, je ne sais plus. Dans mon adolescence, j’ai défié le poète Caldwel Apollon qui m’a fait lire un poème de Castera. J’ai affirmé que mon frère et mon cousin écrivaient mieux que celui-là. J’ignorais à l’époque que Castera était une divinité. Il m’a fallu l’amitié d’Ebenezaire Dupré qui m’a conduit au centre culturel Numa Drouin, pour comprendre que mon frère et mon cousin étaient des grimauds. Je me suis mis à copier les poèmes d’autres dieux pour charmer les filles : Philoctète, Frankétienne, Davertige, Oswald Durant et tant d’autres. J’avais un grand rêve de devenir Ebenezaire Dupré ou Alex Dominique à l’époque. C’est ainsi que j’allais franchir le premier pas. Le plus grand pas. Celui qui m’a permis de rencontrer Evains Wêche, mon premier mentor, puis ce que j’en ai eu trois. Quel privilège !


3) C3 Éditions : Quelle est l’œuvre poétique qui vous a le plus influencé et pourquoi ?

4J Rolph : Je n’écris comme personne. Ou jusque-là pas encore. Cependant j’ai toujours rêvé d’écrire comme Lyonel Trouillot. Ou tout simplement devenir un Trouillot. Ça fait longtemps que j’en demande l’adhésion. Je m’appelle déjà Rolph, ce sera donc facile. Ça arrivera peut-être un jour ou peut-être pas. En écrivant ce recueil, je relisais l’un des plus beaux livres de poésie « Chanson pour amadouer la mort » de Marc Exavier. J’avoue qu’il m’a pris l’envie ou la rage de lui emprunter quelques formules, surtout celle consistant à rendre à la mort sa caresse. J’ai aussi parodié son « Soleil Caillou Blessé » pour en faire refrain. Il faut dire aussi que j’aime la poésie plus que tout autre genre, ç’a été toujours le genre ultime haïtien. Même un romancier est nommé poète par n’importe quel haïtien croisant son chemin. J’ai lu des recueils extraordinaires et je me suis amouraché des vers. Il y a quelque part en Guyane, une certaine Alexandra Cretté qui a écrit dans son livre  Par le regard de ces autres mal nés : « Mon amour, je ne sais pas si mon cœur est un fruit amer ou un trou d’abandon posé à ta fenêtre ».  

Je suis un amoureux fou de poésies, de Nedje, de Margha, de Rimbaud qui demande à passer « Une saison en enfer ». Je suis Les Fleurs du mal, et Gaspard de la nuit. Je suis les Nuages en Pantalon de Maiakovsky. Je suis Le Jeu d’Inéma et Dève lumineuse de Bonel Auguste. Je suis la somme de toutes mes lectures. 


4) C3 Éditions : Comment décririez-vous votre style poétique et vos thèmes de prédilection ?

4J Rolph : Il ne me revient pas en tant que poète de me trouver un style quelconque, bien qu’il m’arrive, par ma formation à l’école Normale Supérieure, de verser dans la critique. Je sais seulement que ma poésie est toujours une forme de main tendue à l’autre. L’affaire est que chez Philoctète et Castera, l’image me hante. Je donnerai cher pour accoucher du Prévert ou du Syto Cavé, Léger mais profond. Je n’ai pas de thématique, car je ne sais que mourir d’amour. 


5) C3 Éditions : À votre avis, la poésie joue quel rôle dans la société ? 

4J Rolph : La poésie a toujours été monture, quête et voyage. Elle a servi Ronsard au même titre que Poe, Tagore ou Neruda. Nous voici revenus à l’interrogation routinière sur le rôle et la fonction de la poésie. On en reviendra encore malgré Barthe, Bakhtine, Julia Kristeva et Claude Pierre. Je ne pense pas qu’on puisse se permettre d’exiger à la littérature. Cependant, tout écrivain a droit de se faire exigence, se tuer même s’il le faut.  Si la poésie a une mission, ce serait celle de sauver le monde. Ça m’a d’abord sauvé de moi-même, mes angoisses, ma démence. Il y a des gens qui pensent que la littérature ne sert à rien. D’autres pensent que ça ne doit servir à aucune cause. Et moi ? Je suis plutôt dans la démarche « Le Plaisir du texte ». Mais, l’horreur des autres face à mon pays, l’horreur de mon pays face à lui-même, me rattrape et me place en plein mauvais goût du monde. Moi qui aime tant les choses belles. Les gens beaux. En effet, il me semble que le Sartre du « Qu’est-ce que la littérature ? » et Todorov dans « Que peut la littérature ? » ont déjà répondu à cette question.  Et moi dans tout ce ravissant bordel ? Je suis du côté d’Amelie Nothomb qui fait dire à son personnage : « La littérature a un pouvoir plus que libérateur, elle a un pouvoir salvateur. Sans les livres, je serais déjà morte depuis longtemps. Elle m’a sauvé. Elle a aussi sauvé Shéhérazade dans les mille et une nuits ». 


6) C3 Éditions : Pourriez-vous nous expliquer le processus créatif aboutissant à l’œuvre récompensée ? 

4J Rolph : Il s’agit de trois textes dans un seul livre : Cœur, Miroir, Fragile. Ces trois textes ont tous été écrits dans un contexte différent. Quand je suis arrivé en Guyane, j’avais perdu une partie de mon essence. De ce qui fait de moi cette grande gueule que j’ai toujours été. C’est ainsi que j’ai écrit Miroir. Je fais le pari de me regarder avec du recul et de regarder les autres. Ces autres mal nés, réfugiés, jugés. Quoi de mieux qu’un miroir pour se contempler ?

J’ai écrit Cœur par ce qu’il me fallait dire au monde cet amour qui me tue. Et fragile ? le dernier coté de moi-même. Le côté le plus discret et le plus adorable. J’ai commencé Fragile avec la mort de la poétesse Jessica Nazaire. Puis s’enchainent la mort du camarade Chedlet Guilloux, l’assassinat de mon ami Tchad qui n’a pas eu le temps d’écrire sur André Gide et Anne Sherca Florvil qui est morte en écrivant un livre sur le mal caduc. Tous ces êtres perdus m’étouffent, m’écrasent, me ramènent à l’insoutenable fragilité de l’être.


24/05/2024 0 comments